Le changement des habitudes alimentaires s’effectue à plusieurs niveaux : modifications dans
la composition, le nombre, le lieu des prises alimentaires, accompagnées d’une certaine
déritualisation et désocialisation des repas ; augmentation de la restauration rapide (Mac Do,
kebabs), à l’emporter, développement des pizzerias livrant à domicile, apparition de nouvelles
gammes de produits « tout prêts » de la convenience food, etc. Avec l’augmentation du travail
féminin et de la distance entre le domicile et le lieu de travail, la restauration collective dans
les entreprises s’est développée remarquablement. La mondialisation apporte aussi son lot de
modifications des habitudes alimentaires dans un double mouvement d’homogénéisation des
produits industriels et de diversification des plats avec l’apparition de la cuisine exotique et
des métissages culinaires qui l’accompagnent.
« Les études travaillant à partir de comportements observés ou reconstruits montrent une
simplification des formes de repas et une augmentation de l’importance de l’alimentation hors
repas (Poulain ; 56) ». Les aspects néfastes de la « transition nutritionnelle » « sont notamment le passage à une alimentation plus énergétique dans laquelle les graisses et les
sucres ajoutés jouent un plus grand rôle, l’apport en graisses saturées (pour la plupart de
source animale) est plus grand, et l’apport en glucides complexes et en fibres alimentaires est
réduit, tout comme l’apport en fruits et légumes (OMS. 2003 (2) ;15) ». Ainsi, à titre
d’exemple, si un menu équilibré présente une densité énergétique d’environ 150 kcal/100 g,
celle des repas rapides classiques (de type hamburger, etc.) se situe dans une fourchette de
215-405 kcal/100g (SSN-OFSP).
L’industrialisation et la mondialisation de l’alimentation ont cependant buté sur l’obstacle de
la perte de confiance de la part des consommateurs. Les crises du système alimentaire se sont
succédé : veau et poulet aux hormones occupent le devant de la scène dans les années 70,
dans les années 90 le scandale de la vache folle émeut les populations et dernièrement la
grippe aviaire réveille les peurs d’empoisonnement. « « La mal bouffe [5] », - les Anglo-Saxons
parlent de frankenfood, contraction de Frankenstein et de food -, devient le repoussoir d’une
modernité dévoyée. De la crise, on bascule peu à peu dans le scandale et l’impensable
(Poulain ; 17) ».
Le processus d’industrialisation de l’alimentation [6] tend à faire disparaître le lien entre
l’humain et la nature et remet par conséquent en question le rapport anthropologique
fondamental entre la culture et la nature. Un mouvement de résistance se développe pour la
réappropriation de ce lien, à la recherche d’authenticité, de retour au terroir, etc. Il trouve son
origine à la fin des années 60 avec ce qu’Edgar Morin avait appelé la mentalité « néo-
archaïque » du retour aux sources, suivi du mouvement gastronomique de la nouvelle cuisine
qui transforme l’ancienne opposition entre haute gastronomie et cuisines rustiques par une
nouvelle opposition alliant la haute gastronomie et la gastronomie rustique contre la
nourriture industrialisée. Puis est apparue la vague de l’ethnocuisine et de ses itinéraires
gourmands en défense du patrimoine. « Parti de la grande restauration, le mouvement se
diffuse sur l’ensemble de la filière alimentaire. L’artisanat alimentaire, les PME
agroalimentaires et viticoles trouvent dans le terroir un nouvel axe de valorisation, une ressource stratégique d’autant plus intéressante que le tourisme vert se développe (Poulain ;
22-23) »
En 1986, l’association internationale Slow Food (www.slowfood.com ou www.slowfood.ch) est
créée pour répondre à la vague d’homologation du fast-food et à la frénésie de la « fast life ».
Elle regroupe aujourd’hui plus de 80 000 personnes dans le monde entier, présentes dans 104
pays des cinq continents et a même créé une université des sciences gastronomiques. Ce
mouvement de plus en plus large, issu d’une prise de conscience du lien fondamental entre
agriculture durable et culture gastronomique, revendique le statut d’une philosophie mondiale.
(Courrier international ; 36 ss). En Suisse, la semaine du goût (www.goût.ch) joue avec un
succès populaire croissant ce rôle de réappropriation du lien entre l’humain et la nature, par le
biais de la nourriture, en cherchant à sensibiliser notamment les jeunes générations au plaisir
du goût et à une alimentation saine dans une démarche de développement durable.
Les habitudes alimentaires ne sont pas fixées une fois pour toutes et l’évolution de celles-ci
sont à comprendre dans le cadre d’un enjeu de luttes, entre systèmes de valeurs opposés, pour
la définition du rapport culture-nature7, dont les acteurs sont l’industrie alimentaire d’une part,
les producteurs et consommateurs d’autre part. Ces luttes prennent des formes diverses selon
les moments, les lieux géographiques, les relations éco-socio-économiques où elles ce
déroulent.
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