Publié le 10 février 2005

      Haïti : Une relecture de la catastrophe de mai 2004

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La catastrophe hydro-météorologique ayant frappé Haïti, particulièrement les villages de Fond-Verettes et de Mapou, est sans doute la plus meurtrière jusqu'alors enregistrée dans le pays depuis 1842. Elle survient sur les cicatrices encore béantes des plus récentes catastrophes dont les cyclones Georges et Gordon.

Tristesse, désolation, traumatisme ne suffisent pas à décrire la situation qui en résultait. Plusieurs mois après, les populations ne sont nullement prêtes à oublier les leurs disparus d'autant plus qu'elles regardent encore les piles d'alluvions à Fond-Verrettes et le quartier de Mapou encore en partie submergé. Mais une question se pose alors : Peut-on se contenter de présenter le caractère épouvantable de la catastrophe ? Ne nous importe t-il pas de l'analyser afin de faciliter (dans le futur) la compréhension du phénomène pour une gestion plus maîtrisée des risques et des catastrophes naturels, sociaux et environnementaux ? En tout cas, les véritables explications sont à chercher dans les facteurs physiques et sociaux qui concouraient à l'événement.

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Pour expliquer les catastrophes hydro-météorologiques actuelles, la déforestation est le seul facteur jusqu'à présent évoqué si l'on excepte le dernier texte du géologue Fritz Pierre-Louis dans le Nouvelliste.

On sait pourtant que la catastrophe naturelle est toujours le résultat d'un phénomène naturel (la menace) et des enjeux (humains et économiques) vulnérables. La vulnérabilité, endommagement potentiel des enjeux menacés, est une combinaison de plusieurs facteurs. On peut donc parler d'un système de vulnérabilité. Aussi, l'analyse des risques et des catastrophes naturels requiert-elle une approche globale, holistique ou systémique, c'est-à-dire la prise en compte de facteurs multiples.

Dans le cas de la catastrophe de mai, le premier facteur qui doit entrer en ligne de compte est l'événement naturel lui-même, c'est-à-dire la forte averse qui s'était abattue sur l'île au cours du week-end du 23 au 24 mai 2004. La nature, surtout dans le domaine hydroclimatique, réserve quelquefois de grandes surprises avec des événements exceptionnels qui produisent toujours du jamais vu. Ces événements dépassent le plus souvent l'échelle d'une génération. C'est la raison pour laquelle il faut distinguer les crues (phénomène inhabituel) des hautes eaux (phénomène saisonnier). Par exemple, pour les zones touchées, les précipitations ne sont pas toujours porteuses de mauvaises augures. Pour cette raison ces populations d'agriculteurs, en majorité, ne s'étaient pas inquiétées au début de la nuit de la catastrophe. Ce n'est donc pas un événement ordinaire. Il s'agissait bien d'une crue. Ainsi, le contexte hydro-météorologique a toute son importance dans l'analyse de l'événement. On se souvient que les pluies diluviennes étaient provoquées par une onde tropicale. Un tel système peut perdre toute son autonomie sur la Cordillera Centrale en République Dominicaine et le massif de la Selle/Bahoruco. Par ascendance orographique, les masses d'air donnent une quantité d'eaux d'autant plus importante qu'elles s'élèvent sur des sommets élevés. Il est donc curieux de voir que les eaux ayant emporté Fond-Verretes et submergé Mapou proviennent exactement des environs du Pic de la Selle, le plus haut sommet d'Haïti. C'est valable aussi pour Jimani plus en aval par rapport à Fond-Verrettes. Et c'est de même pour la Yuna en aval du Pico Duarte , le plus haut sommet de l'île en République Dominicaine où l'on a enregistré également des dégâts même si de moindre ampleur.

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Le mode d'occupation et d'exploitation de l'espace fournit une autre explication. C'est peut-être la deuxième dans la hiérarchie des explications possibles. Les enjeux étaient mal placés. Qui dit enjeux dit l'homme et ses biens. Le lieu ou ils se trouvent placés conditionne leur vulnérabilité.

Chaque espace, chaque site, quelque soit l'échelle considérée, a un caractère qui lui est propre, ce qui détermine la manifestation particulière de tout phénomène naturel. Au point de vue géologique, Mapou et Fond-Verrettes ont en commun et la spécificité de se situer au piémont d'un relief karstique, le Massif de la Selle. Il est donc possible que ces espaces, lors des fortes pluies, subissent des inondations et par les eaux de ruissellement et par celles d'infiltration. En effet, à cause du faillage du massif, le calcaire est friable, donc très perméable. La formation karstique étant jeune, le massif est parsemé d'une multitude de dépressions fermées (dolines, sotchs et poljés) témoigne Paul Moral dans son ouvrage Le paysan haïtien. Les grottes, les cavernes et les gouffres ne sont pas rares. Tous ces éléments donnent un caractère particulier à l'écoulement pluvial. Aussi les eaux infiltrées ressurgissent-elles en aval dans les piémonts au contact d'une couche imperméable contribuant à de grandes inondations lors des pluies intenses et persistantes comme celles engendrées par une forte averse, un cyclone ou une onde tropicale. " Il n'est guère de région calcaire ou n'existent pas des gouffres dans lesquels les eaux de ruissellement se précipitent au moment des gros orages " avait signalé Paul Moral. Il explique avoir lui-même assisté, dans la zone de Kenscoff, " au spectacle impressionnant de la disparition de trombes d'eaux au fond des cuvettes ". Le gouffre du Bois Tombé au sud de Fond-Verrettes, donc à l'amont de l'une des zones touchées, en est une brillante illustration. La plaine de Mapou, dans le piémont sud du massif, est également concernées par de telles cuvettes. Il s'agirait d'un énorme poljé qui s'est, en partie, comblé d'alluvions au cours du quaternaire. Paul moral y fait allusion en ces termes a travers ses études : ''il existe bien d'autres dolines dans le massif de la Selle notamment dans les platons de Fermate et de Fort Jacques et les plateaux de Tiote et de Bodarie'' C'est cette dépression fermée, non appropriée à l'installation humaine, qui est malheureusement occupée depuis des générations par une population attirée par sa grande fertilité. Par coïncidence, une dépression de même nature dans l'île de la Gonâve porte le même nom : la Plaine des Mapoux. Un piège ! il ne faut pas penser que tout le pays est karstique et que toute inondation importante est de cette origine. Le climat est, par essence, variable. La variabilité n'est autre que des écarts par rapport à des moyennes habituelles. Et s'inscrivant dans cette variabilité, les catastrophes hydroclimatiques ne témoignent nullement d'une anomalie du climat.

En outre, la situation de Fond-Verettes dans la confluence de plusieurs ravines à écoulement non pérenne effectuant une collecte d'eaux sur des bassins hydrographiques plus ou moins étendus aggrave cet effet de site. C'est un site par trop contraignant. Le relogement de la population proposé par certains est, à notre avis, salutaire pour le village. La même chose doit être envisagée pour ce qu'il reste de Mapou. A quand alors l'exécution ?

Mapou et Fond-Verettes ne sont pas inondés pour la première fois. Ce sont des villages normalement inondables. Beaucoup de catastrophes plus ou moins récentes de moindre ampleur sont restées dans la mémoire des habitants. Notons par exemple 1954 où ces deux localités ont été inondées par les eaux dues au passage du cyclone Hazel. Elles ont également été inondées lors des cyclones Gordon ( 1994) et Georges (1998).

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On ne saurait négliger la déforestation comme facteur. Bien sûr elle n'est pas le seul. Mais, facteur aggravant, elle est la plus grave parmi les problème environnementaux que connaît le pays à l'heure actuelle. Toutefois, pour comprendre ce problème, il faut le placer dans son contexte socio-économique.

Et dans ce cas précis les facteurs socio-économiques qu'on peut évoquer sont l'explosion démographique, la pauvreté et la misère. Ces éléments sont en grande partie responsables de la mauvaise occupation de l'espace. A ce propos le quartier Nan 40 à Jimani est une parfaite illustration. Complètement en aval des torrents en crue, il est placé dans le lit même d'une rivière asséchée du bassin nord de la Selle, le point d'aboutissement de toutes les eaux de ruissellement du bassin versant et, peut-être, même des eaux d'infiltration ressurgies en aval. Ce quartier est occupé par une population de pauvres migrants haïtiens chassés de leur pays par la misère à la recherche d'une meilleure condition de vie sur le sol dominicain. N'ayant pas de choix, ils s'installent dans le lit majeur de cette rivière asséchée caractéristique du relief karstique de la région.

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Ces facteurs (l'explosion démographie, la pauvreté et la misère) liés à la caducité des techniques culturales sont aussi la source de l'exploitation inadéquate des ressources naturelles. C'est dans ce contexte qu'il faut situer le phénomène de la déforestation.

Si l'on se contente d'incriminer seulement la déforestation sans la prise en compte des autres facteurs notre pays pourra vivre le pire dans prochaines années. Et la solution durable au problème de la déforestation ne peut être trouvée que dans le cadre d'une politique économique globale qui désamorce la pression sur les terres dans le monde rural haïtien. Car il ne faut pas oublier que la crise environnementale s'inscrit dans la crise globale que connaît le pays depuis de longues années. Etant en situation de transition démographique, le pays connaît la plus forte croissance démographique de son histoire. Le problème du pays est donc un tout qu'il faut appréhender et attaquer comme tel.

Notre analyse serait incomplète sans la prise en compte du contexte politico-administratif. C'est aussi un facteur important de vulnérabilité. Nous étions à 3 mois environ du départ d'Aristide. Tout semblait marcher à pas de tortue au niveau des collectivités territoriales. Les maires et les membres de CASECs lavalas n 'étaient plus en fonction . Les municipalités attendaient encore leurs conseillers municipaux et, peut-être, même aujourd'hui encore pour certaines. C'était le même vide au niveau central, à la Direction de la Protection Civile (DPC). Il n'y avait, à l'annonce de cette onde tropicale, aucune mesure de préparation aux désastres. Aucune consigne n'a été donnée aux populations des zones à risque en ce qui concerne les comportements à adopter. Et, plus encore, les informations météorologiques ont été éclipsées par les événements politiques.

En dernier lieu il est à souligner que la catastrophe de mai 2004 n'est pas la plus meurtrière parmi les catastrophe hydro-météorologique qu'a connu le monde jusqu 'alors. En effet, le japon, pays industrialisé, a connu des catastrophes pareilles dans le passé : 3000 morts en 1934 et 5000 en 1959 causés par des typhons dévastateurs. La plus meurtrière des catastrophes hydro-météorologiques que l'humanité ait connu reste celle de 1970 en Bengladesh, environ 300.000 morts dues à une onde de tempête. Par contre pour les dernières catastrophes en Haïti les choses auraient été moins grave si des mesures de prévention et de préparation aux désastres avaient été prises. A quoi faut-il s'attendre dans les prochaines années si l'on ne connaît pas l'histoire des crues de certaines rivières dont les deltas et cônes de déjection sont complètement occupés ? Il y a de quoi avoir peur quand on regarde ceux de la Rivière Grise et de la Rivière Froide qui traversent l'agglomération la plus peuplée du pays. A quoi faut-il s'attendre si l'on ne met pas en place un cadre juridique régissant l'occupation de l'espace, comme on le fait ailleurs, accompagné d'un plan d'occupation du sol et d'une cartographie communale des risques naturels ? Et à quoi faut-il s'attendre si les lois sur les normes de construction ne sont pas en application , si les instances concernées ne jouent pas pleinement leur partition? Le spécialiste en risque cyclonique, le météorologue Georges Donnet, intervenant sur Radio France le 17 octobre dernier a estimé que ce qui rend les cyclones encore plus dangereux pour Haïti, c'est l'inefficacité des instances de prévention. En tout cas, les dernières catastrophes sont révélatrices de la grande vulnérabilité du pays. Le temps où les catastrophes étaient considérées comme " fléaux de Dieu " est bel et bien révolu . Il est donc temps pour nous de réagir. Nous pouvons réagir. Une prise en compte des risques naturels dans les aménagements humains s'avère nécessaire, indispensable, urgente même. C'est cette petite leçon qu'il faut apprendre afin de développer dans le pays une véritable culture du risque.

Documents consultés

BRUNET, Roger

Les mots de la géographie, Documentation française, Paris, 1993
Bureau des mines et de l'énergie : Carte géologique de la république d'Haïti,1988

BUTTERLIN, Jacques

Géologie de la république d'Haïti, comité du cent cinquantenaire de l'ind., 1954

DERRUAU, M.

Précis de géomorphologie, Masson, paris, 1974

KANDEL, R.

Le devenir du climat, Hachette, 1990

LABEYRIE, J.

L'homme et le climat, Denoel, 1993

LAMBERT, Roger

Géographie du cycle de l'eau, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1996

MORAL, Paul

Le paysan haïtien, éditons Fardin, 1978

PAGNEY, Françoise

Les ouragans tropicaux, PUF, 1993

PEGUY, Pierre

Jeux et enjeux du climat, Masson, Paris, 1989

Auteur : Michelet CLERVEAU, Centre de recherche, d'Information et de Formation pour la Sensibilisation et la Gestion des Risques Naturels (CREIFSEGRN)

Le CREIFSEGRN a été créée par un groupe de Géographes Haïtiens en octobre 2003 et son objectif principal est de sensibiliser la population haïtienne sur la vulnérabilité du pays par rapport aux phénomènes naturels.

De 1994 à 2004 Haïti a été frappée par plusieurs tempêtes et ouragans et l'incapacité de l'Etat à faire de la prévention à gérer les désastres a coûté la vie à plus de 6000 personnes et provoquer des pertes matérielles considérables.

Nous ne prétendons pas remplacer l'Etat dans ses prérogatives mais nous voulons apporter notre participation en l'aidant dans le domaine de la prévention et de la sensibilisation.

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