17..(?) - 1805
Esclave de l'habitation des Cahos, cette compagne d'armes de Dessalines
aurait sans doute vu son nom sombrer complètement dans l'oubli
si, pour avoir été à maintes reprises en sa
présence et subi comme une fascination de sa personne, un
médecin de l'époque, Jean-Baptiste Mirambeau, n'avait
cru bon, pour la rappeler à la mémoire, d'en coucher
quelques mots.
D'un tempérament réfractaire, nullement émoussé
par le côtoiement des pires conditions d'un travail servile
et humiliant, Victoria Montou, femme énergique s'il en fût,
s'en trouvera astreinte quotidiennement au plus rude des labeurs
d'alors: celui des champs. Son meilleur ami était un esclave
nommé Jean-Jacques. Celui-ci, d'un profil aussi rêche
que le sien, était avec elle d'une telle intelligence, nous
dit-on, que leur maître d'alors, prenant ombrage d'une situation
que risquait de rendre tôt ou tard périlleuse cet abouchement
répété de gens pareillement insoumis, trouva
mieux son compte à se débarasser d'elle en la transférant
à l'habitation Déluger.
Là, curieux de voir cette femme esclave dont il était
si souvent question dans ses conversations, Mirambeau se décide
un jour à l'aller rencontrer aux champs : «(...)à
la tête d'environ cinquante esclaves, se trouvait Toya, ayant
à la main une faulx, sur une épaule une houe et un
couteau à indigotier suspendu à la ceinture de son
caraco(...). Sur le commandement de Toya, une partie est envoyée
au déboisement, une autre au labourage, d'autres à
récolter et à mettre dans de grands paniers des céréales.(...)
Elle a la voix timbrée, ses commandements sont identiques
à ceux d'un général.»
Quelques années plus tard, et toujours à Déluger,
la même Toya, une fois de plus, se fera remarquer de Mirambeau,
mais cette fois-ci, dans l'agitation et l'euphorie d'une rébellion
qu'un régiment, supérieur en nombre, se fait fort
de contenir : «Ce petit quantum de révoltés,
sous le commandement de Toya, a été vite cerné
et fait prisonnier par le régiment. Durant la lutte, Toya
se sauve poursuivie par deux militaires; un corps à corps
eut lieu entre eux et Toya; l'un d'eux a été grièvement
blessé par Toya et l'autre, aidé de quelques autres
militaires arrivés à temps, Toya est prisonnière.»
A l'interrogatoire qui ne manque pas alors de suivre, Toya, harcelée
sans doute, aurait fait l'aveu, qu'ils ne faisaient, ainsi armés
et sur pied de rébellion, que répondre à l'appel
d'un certain Jean-Jacques, leur chef.
Y a-t-il identité entre ce Jean-Jacques et Dessalines? La
relation de Mirambeau à qui l'occasion, nous le verrons,
sera offerte, plus tard et en de toutes autres circonstances, d'approcher
de plus près encore Victoria Montou, le laisse clairement
entendre. En effet, en 1805, peu après l'établissement
de l'empire, alors que l'état de santé de Toya laissait
à craindre le pire, il fut appelé à son chevet
chez l'empereur Dessalines même qui, éploré
et demandant secours, la lui aurait alors présentée
comme étant sa parente : «Cette femme est ma tante,
soignez-la comme vous m'auriez soigné moi-même elle
a eu à subir comme moi toutes les peines, toutes les émotions
durant le temps que nous étions condamnés côte
à côte aux travaux des champs». Il n'y parvint
visiblement pas; Toya mourut le jour même, le 12 juin 1805
et fut inhumée le lendemain.
Notre auteur, au témoignage duquel nous devons dans notre
mémoire une Toya, par contre toujours vivante, en prenant,
en traits hâtifs mais si évocateurs, le soin extrême
de retracer pour nous le parcours du convoi funèbre de la
barrière du palais au cimetière proche, nous offre
aussi le privilège inespéré de pouvoir revivre
pleinement les derniers moments sur terre d'une femme dont le moins
qu'on puisse dire aujourd'hui de sa personnalité est qu'elle
était d'une remarquable tonalité : «Huit brigadiers
de la garde de l'empereur portaient alternativement le cadavre.
Madame Dessalines entre deux sous-officiers conduisait le convoi(...)
Madame Dessalines était vêtue de noir».
* Tiré de : Jean-Baptiste Mirambeau, Victoria, dans
Le Document, no.2, Février 1940, p107.
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
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