1934 - 1994
«Toto a aimé la vie, la fête, la poésie, le théâtre... c'était une très grande diseuse.
[Elle] a profondément marqué le théâtre haïtien par son rapport au texte et son travail de mise en scène de la chanson.
Elle laisse un vide énorme.» (1)
Tournant le dos à une scène encore bruyante des retombées
du Bicentenaire, et des excentricités folkloriques de Lina
et de Lumane, la Toto qui part d'Haïti à 17 ans est
loin de cette mordue de la rampe dont, bien avant ses prestations
haïtiennes, nous parviendra, assourdi par un voile de terreur
et de silence, un renom de turbulence et de prestige. En effet,
à New-York puis à Paris, cette femme pour qui, de
tout temps, semblent avoir été créées
la rampe et ses tourmentes, donnera dans un premier temps une impression
vague d'hésitation studieuse et de tâtonnement. On
la voit participer à des stages d'aide-infirmière,
amorcer des études d'agronomie, abandonner choses et autres,
puis éclate dans une part assumée d'elle-même,
celle qui, pour répondre plus authentiquement au monde de
rêves et de révolte qui l'habitait, la trouvera en
pleine lumière sur la ligne de son départ.
Et c'est cette Toto qui, dans l'ambiance toute d'exultation de
minorités révélées à elles-mêmes,
se retrouvera, à la faveur d'amitiés fortuites, à
faire la découverte enrichissante d'un théâtre
en rupture avec lui-même et d'une Afrique en voie de décolonisation,
foyer fécond d'une négritude riche et vibrante de
perspectives. Dans les remous des Griots (première
compagnie africaine d'Art dramatique de Paris à la fondation
de laquelle elle participera en 1956 avec Sarah Maldoror, Samba
Ababacar, Timiti Bassori...) et sous la direction novatrice et frondeuse
d'un Roger Blin puis d'un Jean-Marie Serreau, Toto connaît
des débuts remarqués et non moins prometteurs. Depuis,
au goût d'acquis successifs ou d'une permanence à chaque
coup plus enracinée, se confirmera, dans des pièces
de Synge, Pouchkine, Abdou Anta Ka, Ionesco, Becket, Kateb Yacine,
Jean Genêt..., une carrière talentueuse de comédienne
et qui la trouvera, plus près de nous, dans des mises en
scène de Syto Cavé, pour ne rien dire évidemment
de ses rôles d'écran, lesquels, pour ne pas offrir
à ce monde de mouvement qui était son cadre idéal
d'éclatement, ne la trouveront pas moins d'un talent affirmé.
Que cette même foulée ait révélé
dans la chanson une fougue aussi ardente, voilà qui n'a rien
pour étonner. Et encore moins, nous paraît-il, ces
couplets dont plus encore que de leur prêter voix, elle fera
crânement le choix à l'époque de faire vivre
intensément sur scène les fibres les plus secrètes
et subtiles. Accompagnée au début du pianiste Max
Piquion puis de Toto Lami, c'est Ferré, Ferrat, Brel, Aznavour,
Moustaki, Nougaro, Barbara..., certaines fois dans des adaptations
créoles de Jacqueline Scott, bref une marginalité
grinçante et rêveuse dont les accents, mêlés
aux siens, ne laissent d'affirmer, par-delà pays et race,
l'étonnante ressemblance, dans un monde universel de lucre
et de routine, d'une écorchure vivace en mal de se retrouver.
Datant de ces échanges, autour de 1970, avec Max Pinchinnat,
une autre grande Toto se découvre, marquée, à
tout jamais, au sceau de sa rencontre avec la culture profonde haïtienne.
Considéré comme soirée inaugurative de cette
période, ce récital mémorable de La Vieille
Grille à Paris (1973) où, pour la première
fois, elle laisse entendre des morceaux de son répertoire
inspiré du vodou et récemment constitué. Son
parcours s'enrichit alors à mesure de rencontres plus proches
des sources qui l'interpellent dont pour les musiciens haïtiens:
Daniel Coulanges, Boulo Valcourt, Joël et Mushi Widmaier, et
les paroliers Marco Wainright, Michael Norton, Syto Cavé,
Lionel et Rolph Trouillot... En 1978, Toto entreprend en
effet le chemin du retour et qui, bien plus long qu'elle ne se le
figurera, la trouvera de 1979 à 1984, en Martinique, en 1984
en République Dominicaine et enfin en Haïti bien plus
tard, en août 1986.
Qu'est devenue pour elle Haïti le temps de ce long
crochet de plus de 20 ans? Loin de l'image douloureuse certes mais
non moins pleine d'échos tapageurs qu'elle s'était
faite, beaucoup plus, a-t-il semblé, un lieu non familier
où, de désappointements en successives désillusions,
elle se verra contrainte de fermer à mesure des bras offerts
à l'arrivée. Multiples seront, en effet, les tentatives
de Toto de trouver le mot, le ton qui ouvrirait le dialogue... L'Haïti
tant chantée restera implacablement muette à son invite.
Cependant, elle n'en fera pas moins sa demeure permanente, partagée
entre cette glu singulièrement riche de sollicitations décousues
et de fausses répliques d'une terre natale à reconstruire
et des engagements d'artiste à honorer (elle se surpassera
par exemple en 1989 à Dakar, à ce spectacle sons et
lumière créé pour la réunion de tous
les chefs africains où elle chante Toussaint Louverture).
Loin de ses meilleurs moments de trépidation, elle joue alors
très peu en Haïti.
Ses proches revivent encore cette insondable défaite : «Quand
nous sommes revenus en Haïti, c'était pour construire.
Et quand Toto s'est rendu compte que ce n'était pas possible,
elle a tout lâché. Elle n'avait plus la force de revenir
en arrière»(2). Un répit était-il
envisageable dans la prise en compte, l'acceptation réaliste
d'un échec? Mais comment raisonner et rendre lucide de grands
mots et un rêve? «Elle était une enfant. Elle
a toujours eu 7 ans. Sa révolte et son amour ont eu la témérité
et la vérité d'une enfant»(3).
Rejetant alors ce qu'elle semblait se refuser à comprendre,
Toto, découragée, laisse s'abimer sa santé
et à son dernier récital, c'est d'une Toto amère,
sur une musique de Léo Ferré, que fusera ce cri douloureux,
dernier soubresaut d'amour et de révolte: Ayiti, m pa
renmen w ankò.
RÉTROSPECTIVES:
Spectacles
1961-1970 Répertoire francais / créole
Tournées Haïti
1972-1973 Chants Vaudou
Paris, La Vieille Grille; Martinique, Festival de Fort-de-France
(avec Akonio Dolo, Beb Guérin, Cayotte Bissainthe);
Haïti
1974-1977 Récitals
Bordeaux, Sigma (avec Colette Magny et Catherine Ribeiro);
New-York, Academy of Music à Brooklyn / Madison Square Garden
/ Carnegie Hall; Paris, La Vieille Grille / Fêtes du PSU,
d'Amnesty International; de l'Humanité, du MRAP...; Tchéchoslovaquie,
Festival international de Musique (Slovakoncert Bratislava)...;
Bruxelles, Campus en folie;
1978- Chants populaires d'Haïti
(avec Marie-Claude Benoit, Mariann Mathéus, Beb Guérin,
Akonio Dolo, Mino Cinelu)
Paris, Théâtre de la Ville / Olympia Théâtre
d'Orsay-Jean-Louis Barrault-Madeleine Renaud / Palais des Glaces;
Sartrouville, Théâtre Gérard-Phillipe
Disques
Toto à New York, Chango, 1975
Toto chante Haïti , Arion, 1977; Prix de la chanson
TF1 1978
Coda, 1996
Films
1958 Les Tripes au soleil, Claude-Bernard Aubert
1978 En l'autre bord, Jérome Kanapa
1979 Rasanbleman, Film reportage du concert des chants populaires
d'Haïti
1988 Haïtian corner , Raoul Peck
1991 L'Homme sur les quais, Raoul Peck
—- La Tragédie du roi Christophe, Idrissa Ouedraogo
Théâtre
Avec Roger Blin: Les Nègres, Jean
Genêt; Bœsman et Léna, Fugard;
Avec Jean-Marie Serreau: Les Bonnes, Jean
Genêt; Amédée, Le Tableau, Les Œufs,
Ionesco; Comédie, Becket; Arc-en-ciel pour l'Occident
chrétien, René Dépestre; Le Cadavre
encerclé, Les Ancêtres redoublent de férocité,
Kateb Yacine; Funny House of a Negro, Adrienne Kennedy;
Avec Guy Lauzen: Un raisin au soleil, Hansberry;
Avec Guy Kayat: Les oiseaux, Aristophane;
Avec Jaromir Knitel: Le Cantiqupe des cantiques,
présenté au Festival de Nancy;
Avec Raymond Rouleau: Rashomon, Festival
de Spoletto;
Avec Guillaume Chenevière: Le Malade imaginaire,
Molière;
Mise en scène de Toto Bissainthe: La Voix
humaine, Le Bel indifférent, Cocteau.
Avec Syto Cavé: Songe que fait Sarah
, S. Cavé; Rosanie Soleil , Ina Césaire
Sources diverses; Ralph Boncy; Michael Norton (époux de
Toto Bissainthe).
(1) Syto Cavé dans Le Nouvelliste
(2) (3) Entrevue de M. Norton
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
|