< XIIIe Conférence Internationale sur le Sida: Point de vue

LES FEMMES ET LE VIH/SIDA


Organisation Mondiale de la Santé
FAIRE FACE A LA CRISE

Il est impératif, pour inverser la tendance mondiale de la propagation du VIH/sida, de s’attaquer à ces facteurs contributifs que sont la pauvreté et l’inégalité des sexes. Des efforts renforcés sont nécessaires pour répondre aux besoins concrets des femmes et des filles et pour élargir le rôle et accroître la responsabilité des garçons et des hommes. Au niveau mondial, chez les adultes vivant avec le VIH/sida, le pourcentage des femmes est passé de 35 % à 48 % depuis 1985 et dans le groupe d’âge de 15 à 24 ans, les jeunes femmes représentent actuellement plus de 60 % des personnes vivant avec le VIH/sida.

Il y a aujourd’hui dans le monde 17 millions de femmes et 18,7 millions d’hommes de 15 à 49 ans qui vivent avec le VIH/sida. La région la plus dévastée est l’Afrique subsaharienne, où vivent 77 % des femmes séropositives. Dans d’autres régions, l’épidémie se propage depuis certains groupes de population, tels que les travailleurs de l’industrie du sexe ou les usagers de drogues intraveineuses, pour atteindre la population générale, les femmes et les filles étant de plus en plus touchées.

L’augmentation des taux d’infection par le VIH chez les femmes inspire de graves préoccupations. Lorsque l’on considère en plus la charge de travail croissante incombant aux femmes qui prennent soin des sidéens, des orphelins et de leur propre famille, la situation devient intenable. À la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies (UNGASS) consacrée au VIH/sida, en juin 2001, les représentants de plus de 180 pays se sont engagés à « intensifier les efforts … pour combattre les stéréotypes et les comportements sexistes ainsi que les inégalités entre les sexes en ce qui concerne le VIH/sida , en encourageant la participation active des hommes et des garçons ». Le présent rapport est un appel à honorer cet engagement. Il fait fond sur les travaux de la Coalition mondiale sur les femmes et le SIDA, nouvelle initiative visant à inciter à des actions concrètes dans plusieurs domaines d’une importance critique pour réagir de manière efficace : prévention, traitement, apport de soins, éducation, violence sexospécifique et droits de la personne.

PREVENTION

Faire en sorte que les adolescentes et les femmes possèdent les connaissances et disposent des moyens requis pour prévenir l’infection par le VIH

Les filles et les femmes sont particulièrement exposées à l’infection par le VIH, tant pour des raisons biologiques que du fait de l’inégalité des sexes et de la discrimination à leur égard. Cependant, dans la plupart des pays, elles en savent moins que les hommes sur le VIH/sida et sur la transmission du virus. Au niveau mondial, plus de 80 % des jeunes femmes ne possèdent pas de connaissances « suffisantes » sur le VIH/sida. Le silence sur les questions de sexualité, les réalités de l’inégalité des sexes et le manque d’éducation sur la santé sexuelle et en matière de reproduction sont autant de facteurs de risque pour les filles et les femmes.

Si l’approche dite ABC (acronyme anglais : abstinence, fidélité, préservatifs) a donné des résultats dans certains pays, on constate de plus en plus qu’elle doit être renforcée pour répondre aux besoins des femmes et des filles. Pour beaucoup d’entre elles, les choses ne sont pas aussi simples : la puissance sociale et économique qui leur permettrait de négocier la fidélité ou l’usage du préservatif leur fait défaut et elles sont exposées à la violence des hommes. L’approche ABC ne présente des options viables pour les filles et les femmes qu’en tant que composante d’un train de mesures qui les autonomise et leur permet de faire valoir leurs droits.

Le mariage, souvent considéré comme une protection contre le VIH, peut en fait présenter des risques particulièrement élevés pour les jeunes épouses d’hommes plus âgés qu’elles. Des études récentes menées dans certains pays d’Afrique indiquent que les jeunes femmes mariées sont plus à risque d’être infectées par le VIH que leurs homologues célibataires sexuellement actives. L’incapacité des épouses d’imposer des exigences à leur mari, en particulier lorsque la différence d’âge est grande, la fréquence accrue des rapports sexuels et l’usage moindre du préservatif en sont la cause. Et sans guérison en vue, l’accès aux préservatifs et l’application de méthodes de prévention contrôlées par les femmes, tels que les préservatifs féminins et, à l’avenir, les microbicides, constituent des moyens essentiels pour enrayer la propagation du VIH/sida. Tous les établissements de soins de santé, y inclus les centres de santé sexuelle et en matière de reproduction, devraient promouvoir les services de prévention et de traitement de la maladie.

TRAITEMENT

L’initiative « 3 millions d’ici 2005 » de l’Organisation mondiale de la santé et de l’ONUSIDA, qui vise à dispenser des traitements contre le VIH/sida à 10 millions de personnes d’ici la fin 2010, permet d’imaginer un monde en développement dans lequel le VIH n’est plus une condamnation à mort. Mais fréquemment, les femmes ne peuvent pas accéder aux médicaments antirétroviraux ou en bénéficier même lorsqu’ils sont disponibles. Les familles qui ont des moyens limités peuvent choisir de payer le traitement aux hommes et pas aux femmes; le coût du transport jusqu’aux centres de santé est parfois trop élevé pour les femmes sans revenus ou sans accès à des ressources; et l’absence de droits de propriété pour les femmes peut renforcer les incitatifs à maintenir en vie les hommes, qui ont de ce fait de meilleures chances de subvenir aux besoins de la famille.

Les autorités et les décideurs politiques doivent veiller à ce que les programmes nationaux lèvent les obstacles qui s’opposent à ce que les femmes aient accès à l’ART (thérapie antirétrovirale) et en bénéficient, face à l’opposition et à l’opprobre. Les services de santé peuvent mettre à disposition des unités de soins mobiles, réduire ou éliminer les redevances, assurer la garde d’enfants dans les dispensaires et dispenser des soins de manière à ne pas traiter un membre de la famille aux dépens des autres. Les centres de prévention de la transmission mère-enfant s’efforcent d’offrir des services à long terme aux femmes et à leurs partenaires, services qui doivent être développés. Les meilleurs résultats s’obtiennent lorsque la communauté dans son ensemble est associée au traitement et qu’elle est encouragée à appuyer les membres de la familles et les voisins et voisines.

APPORT DE SOINS

Globalement, jusque 90 % des soins palliatifs dispensés aux malades le sont à domicile par les femmes et les filles, en sus des multiples tâches qui leur incombent déjà, telles que le soin des enfants et des personnes âgées, la préparation des aliments, le nettoyage et les corvées d’eau et de bois de feu. Et cependant les stratégies de réduction de la pauvreté et les plans nationaux de lutte contre le sida tiennent rarement compte des responsabilités des femmes en tant que dispensatrices de soins. Dans les pays en développement, la pauvreté et la privatisation des services publics se sont combinées avec le sida pour que la charge des soins imposée aux femmes se mue en une grave crise, lourde de conséquences, dans les domaines de la société, de la santé et de l’économie.

Les soins à donner aux sidéens peuvent augmenter d’un tiers la charge de travail de celles qui veillent au bien-être de la famille. Dans toute l’Afrique, lorsque les gens meurent du sida, les ménages sombrent de plus en plus profondément dans la pauvreté. Une récente étude menée en Afrique du Sud a constaté que les ménages frappés par la maladie ou la mort dans un passé récent risquaient deux fois plus d’être pauvres que ceux qui avaient été épargnés et qu’ils risquaient aussi davantage de rester pauvres à long terme.

Les instances gouvernementales et les décideurs politiques doivent prendre en considération les besoins de soins de santé des gens vivant avec le VIH/sida, de manière à ce que la responsabilité de prendre soin d’eux ne retombe plus exclusivement sur les femmes. Des travailleurs de santé communautaires doivent appuyer les femmes et alléger le fardeau de la dispensation de soins. En Haïti, le modèle de l’initiative « Égalité VIH », qui fait appel à des « accompagnateurs » payés pour dispenser les soins de santé à domicile, s’avère opérant et d’un coût relativement faible. D’autres programmes font intervenir des hommes en tant que dispensateurs de soins. Dans le monde entier, dispensateurs et dispensatrices de soins, rémunérés et bénévoles, ont besoin de conseils, d’appuis et de formation à l’apport de soins fondamentaux.

EDUCATION

Les études démontrent que les femmes éduquées savent généralement mieux prévenir l’infection par le VIH, retardent leurs premiers rapports sexuels et prennent des mesures pour se protéger. L’éducation accélère également les changements de comportement chez les jeunes hommes, qu’elle rend plus attentifs aux messages de prévention. L’éducation primaire universelle ne peut pas remplacer la généralisation des traitements et de la prévention du VIH/sida mais c’est un effort complémentaire nécessaire.

Une récente analyse suggère que si tous les enfants achevaient leurs études primaires, l’impact économique du VIH/sida pourrait être considérablement réduit et que cela permettrait de prévenir quelque 700 000 cas d’infection par le VIH par an, soit 7 millions en l’espace d’une décennie. En Ouganda, où certains programmes d’enseignement informent les élèves sur le sida, la proportion de jeunes de 13 à 16 ans d’un district scolaire ayant déclaré être sexuellement actifs qui était de plus de 60 % en 1994 a chuté pour s’établir à moins de 5 % en 2001. Cependant, une récente étude mondiale a constaté que dans plus de 40 % des pays, les programmes scolaires ne dispensaient pas d’informations sur le VIH/sida. Pour être efficaces dans la lutte contre la maladie, les systèmes scolaires doivent éliminer les droits de scolarité pour que les filles poursuivent leurs études, lutter contre les stéréotypes sexistes et la désinformation, mettre l’accent sur la préparation à la vie quotidienne, renforcer la participation et l’autonomisation des filles, éliminer le harassement et l’agression sexuels et promouvoir l’acquisition de connaissances dans le domaine de la santé sexuelle et en matière de reproduction.

VIOLENCE

La violence à l’égard des femmes est à la fois une cause et une conséquence du VIH/sida. Les recherches indiquent que le pourcentage de femmes qui subiront des violences de la part de leur partenaire intime au cours de leur vie varie de 10 à 69 % selon le pays. Durant le génocide rwandais de 1994, des centaines de milliers de femmes se sont fait violer, beaucoup par des hommes séropositifs. Dans le monde, les femmes sont 2 millions par an à être victimes du trafic des personnes, ce qui met nombre d’entre elles en grand danger de violences sexuelles et les expose toutes au risque d’infection par le VIH. Mais si leur séropositivité vient à être découverte, beaucoup de femmes risquent d’être battues, abandonnées ou chassées de leur foyer. Beaucoup aussi ont peur de demander à leur partenaire de modifier leur comportement sexuel ou d’avoir des rapports sexuels protégés.

Si la violence et la crainte de la violence sont des obstacles qui s’opposent à l’accès des femmes à la prévention, aux traitements et aux soins, le fait même qu’elles vivent exposées à la violence semble accroître leur susceptibilité au VIH. Des recherches portant sur 1 366 Sud-Africaines ont montré que le risque d’infection par le VIH était supérieur de 48 % pour les femmes qui étaient battues par leur mari ou partenaire par comparaison à celles qui ne l’étaient pas. Une étude menée en Tanzanie a constaté que les femmes séropositives étaient 2,5 fois plus souvent victimes de violences infligées par leur partenaire que les femmes séronégatives.

La violence sexospécifique est aujourd’hui l’un des principaux facteurs de l’élévation des taux d’infection par le VIH chez les femmes et il sera difficile d’enrayer l’épidémie sans agir sur ce facteur. Au nombre des approches prometteuses figurent le renforcement du système de santé, la protection des droits de la personne, l’éducation, la réforme juridique et la mobilisation des communautés. Dans les situations de conflit, des efforts sont déployés pour assurer protection et prophylaxie par l’entremise des organismes humanitaires. De plus en plus, les hommes prennent position et passent à l’action contre la violence à l’encontre des femmes et des filles.

LES DROITS DES FEMMES

En protégeant les droits de la personne des femmes et des filles, on protège aussi celles-ci du VIH/sida. Plus que toute autre maladie de ces dernières décennies, le sida a mis en évidence les inégalités sociales qui accroissent la vulnérabilité des femmes et de filles à l’infection. Les femmes doivent savoir qu’elles ont des droits, qu’elles peuvent agir dans leur propre intérêt et qu’elles auront l’appui de leur communauté et de leur pays. Nous avons constaté le pouvoir de ce genre de sensibilisation et d’action chez les femmes et les filles vivant avec le VIH et le sida, qui font entendre leur voix pour revendiquer leurs droits.

Les liens avec le VIH/sida ont amené les femmes et les communautés à mettre en question des pratiques telles que le mariage précoce, la coupure génitale féminine et la « purification rituelle » des veuves. Il en est de même de la discrimination résultant des lois et des pratiques en matière de droits de propriété et d’héritage, qui laissent de nombreuses veuves du sida sans abri. Une enquête auprès de veuves séropositives en Ouganda a révélé que 90 % des femmes interrogées avaient des difficultés avec leur belle-famille concernant leurs droits de propriété et que 88 % de celles qui vivaient en milieu rural ne pouvaient plus subvenir aux besoins de leur famille.

Le changement est lent mais il est appelé à s’accélérer à mesure que la relation entre la discrimination et le VIH sera exposée plus clairement. Les instruments internationaux des droits de l’homme offrent un cadre et des orientations à l’appui des efforts déployés par les activistes et les autorités gouvernementales. Devant la décimation des nations par le VIH/sida, la garantie des droits de la personne est une condition essentielle de la survie.

PERSPECTIVES D'AVENIR

L’impact du VIH/sida sur les femmes et les filles s’est intensifié pour atteindre des proportions de crise, notamment en Afrique australe. Un effort massif et concerté déployé à tous les niveaux est nécessaire pour faire face à la pauvreté et aux inégalités fondées sur le sexe qui alimentent l’épidémie. L’implication accrue des garçons et des hommes est d’une importance critique. Le grand défi consiste à susciter la volonté, l’engagement et la responsabilité au niveau politique. Des ressources accrues doivent être attribuées aux programmes sensibles à la problématique hommes-femmes. Les femmes qui vivent avec le VIH/sida doivent bénéficier d’appuis et l’argent du sida doit être employé de manière opérante pour les femmes et les filles.

Chefs d’État, responsables gouvernementaux, décideurs politiques et dirigeants communautaires et religieux doivent s’exprimer vigoureusement et de toute urgence sur la nécessité de protéger les femmes et les filles de la violence et de la discrimination et faire de l’égalité des sexes et de la lutte contre le VIH/sida des priorités hautement visibles. Nous ne pouvons plus considérer les femmes comme de simples victimes; il est temps de reconnaître et de faire fond leurs forces. Les stratégies visant à l’inversion de tendance de l’épidémie de sida ne pourront réussir que si les femmes et les filles se voient accorder les moyens de faire valoir leurs droits.
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