1845 - 1893
L'affectueux portrait qu'a laissé Alice Garoute de sa mère Pauline Brice, évocateur, sans nul doute, de l'atmosphère singulièrement tapageuse de notre fin de siècle, nous donne à contempler, d'une folle mais attachante témérité, une femme, une héroïne, devrions-nous dire, à qui n'ont fait défaut qu'une fonction politique, ou mieux encore, des épaulettes pour se voir l'intérêt d'un chapitre de nos manuels d'Histoire.
Sœur du général Broussais Brice «qui lui faisait confiance et la consultait presque toujours avant de prendre une décision grave»(1), elle ne manquera pas, lors de cette guerre civile de 1868 qui, pour la deuxième fois, verra notre pays scindé en trois Etats, de faire montre d'une trempe d'âme toute particulière quand, tous les siens emboîtant prudemment le pas au général Brice parti dans la Grande-Anse retrouver l'insurrection, elle fera le choix de rester seule à Port-au-Prince braver la fureur et l'affolement du président Salnave. Tentative du gouvernement de l'Etat central d'intimider sa famille? Elle se retrouvera alors en prison où elle se liera d'amitié avec Mme Nord Alexis «gardée en otage» elle aussi, son mari comptant au nombre des insurgés les plus en vue du Nord.
Grâce à l'intercession de quelques amis influents cependant, Pauline Brice ne tardera pas à être libérée et aussitôt dehors, se mettra en frais d'organiser l'évasion de Mme Nord Alexis. Quelque temps après, en effet, se faisant un complice du fils d'un geôlier, gagné tout entier durant son court passage en prison, elle se fera amener la dame Alexis que, dans la cour de la loge maçonnique attenante à la prison, elle viendra en personne accueillir la nuit de l'évasion pour la conduire à couvert dans une légation étrangère.
Sachant pertinemment de quoi était capable «cette race Brice», le président Salnave ne tardera pas alors à ordonner au général Florvil Hyppolite, commandant de l'arrondissement de Port-au-Prince, l'arrestation de Mme Brice, aussitôt soupçonnée. L'ordre d'arrêt lui ayant été signifié, elle profitera de quelques minutes gracieusement accordées pour troquer ses vêtements contre le port et les habits plus communs de sa servante et parviendra, ainsi accoutrée, à tromper la vigilance des nombreux gardes en faction et à gagner le Consulat de France.
Loin d'être à court de simulation, comme pour narguer l'interdiction qui lui est faite de quitter Port-au-Prince — Salnave craignant sans doute un abouchement de renseignements précieux avec son frère —, un soir que des officiers francais, venus répondre à une de ces soirées gracieusement données, s'étaient présentés au consulat, elle soudoiera le matelot porteur de falot leur servant de guide et laissera la ville travestie en cet état.
L'impénitente audace de cette femme verra son couronnement dans l'initiative qu'elle prendra cette nuit de 1879 de sauver la famille du chef du parti libéral en exil, Boyer Bazelais, des répresailles d'un gouvernement (celui de Salomon), peu scrupuleux en la circonstance des prescriptions d'une Constitution abolissant la peine de mort en matière politique. Avertie des perquisitions devant être opérées chez le consul anglais Byron(2), refuge de la famille Bazelais et cache d'armes occasionnelle des insurgés, elle passera la nuit entière, (ainsi que sa fille Eugénie Cajuste et Télécile Michaud, servante dévouée de sa famille) juchée sur une échelle à entreprendre de débarrasser fusils et munitions dans une maison voisine du consulat, occupée à l'époque par le couple Luders, assez compréhensif et courageux en l'occurence, pour ne rien trouver à redire d'un chargement aussi compromettant venant terminer son affolante course dans ce puits encore en usage où il est soigneusement englouti.
Les temps n'étaient plus les mêmes, quand le 22 septembre 1883, en représailles à l'insurrection bazelaiziste, «une populace déchaînée pilla et incendia les quartiers habités par les libéraux»(3), Pauline Brice, qui aura pourtant le cran de tenir tête six ans plus tard au président Florvil Hyppolite jusqu'à le rendre «fou de colère», n'aura d'autre recours que de gagner l'exil à Kingston où, pendant cinq ans, se privant, s'endettant quand il le fallait, elle fera de sa maison «l'Auberge de l'ange gardien où tous les Haïtiens amis ou inconnus étaient sûrs de trouver substantiel repas, paroles réconfortantes»(4).
Pauline Brice-Thézan mourra dans la nuit du 29 au 30 juillet 1893, à 48 ans.
(1) Alice Garoute, Femmes haïtiennes, op.cit. p118.
(2) Le consul Spencer Saint Jhon, tout comme d'autres représentants du corps diplomatique, le commerce étranger et le clergé romain, auront joué dans cette crise un rôle non négligeable, en soutenant en effet «matériellement et moralement les possédants nationaux menacés». Voir André Georges Adam, Une crise haïtienne, 1867-1869, Sylvain Salnave, p 158 et suiv.
(3) Dr. J.C. Dorsainvil, op.cit.p265.
(4) Alice Garoute, op. cit. p122.
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
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