Dans ces initiatives gouvernementales, ces écoles d'Art,
ces regroupements de peintres qui, de 1807 à 1930(1),
voient successivement et comme laborieusement le jour en Haïti,
aucune trace tangible d'un apport sinon d'une participation féminine.
A croire que dans ce domaine également, au demeurant d'une
vitalité jusque-là des plus précaires, les
Haïtiennes, encore une fois, ne feront une entrée que
mitigée, et le pied une fois dans la place, y demeureront,
pour longtemps encore, d'une présence plutôt timide.
Ce n'est qu'aux environs des années 30 seulement que se
révèlent au grand jour les premières toiles
de peintres femmes, encore qu'il soit intéressant de signaler
qu'à côté d'étrangères telles
Tamara Baussan, Andrée Naudé(2),
Mme Clainville Bloncourt, Hélène Schomberg...
depuis peu installées dans le pays et d'un profil, disons-
le, nettement plus accusé, les rares Haïtiennes à
l'origine d'une initiative dans ce domaine, loin de l'esprit professionel
qui règnera plus tard, seront d'un «happy few»,
pourrait-on dire, lequel, la plupart du temps, associe la palette
uniquement au loisir. En 1931 puis en 1937, Mme Duraciné
Vaval, à sa villa du Bas peu de chose, osera deux vernissages
de ses toiles lesquels feront admirer ses paysages, portraits, nus,
villas et scènes locales...; elle avait déjà
exposé place Malesherbes à Paris. Le public des années
1932 et 1939, au Club Union d'abord puis au Cercle Port-au-Princien,
est convié à apprécier les œuvres de deux
groupes de femmes; de la dizaine de noms cités et qui seront
au centre de l'attention, une seule, la jeune Andrée Malebranche(2),
fera carrière de peintre(3).
Il faudra attendre la création du Centre d'Art, et son impulsion
donnée à l'art, pour que certains traits changent
dans ce paysage et s'inaugure un autre esprit. Les noms de femmes,
s'ils ne se font pas nécessairement plus nombreux, trahissent
une implication plus poussée, seule propice à l'éclosion
d'un véritable esprit de métier. A ce titre, certaines
dates méritent d'être retenues, pierres blanches d'un
cheminement aux perspectives largement offertes : Le 14 mai 1944,
le nom d'Andrée Malebranche figure comme seule femme
haïtienne au livret de l'exposition inaugurale. Puis en août
1944, c'est une jeune adolescente haïtienne de 13 ans et demi
que le Centre d'Art accueillera dans son premier vernissage, jalon
d'une vie toute consacrée à l'Art : il s'agit de Marie-José
Nadal, laquelle, pour avoir fait depuis ce pacte que l'on connaît
avec la peinture haïtienne et s'être taillée une
heureuse réputation de promotrice d'art, se passe de présentation.
Fondatrice de la Galerie Marassa, instigatrice du mouvement «Les
femmes-peintres», elle publie en 1986, en collaboration avec
Gérald Bloncourt, une anthologie remarquée de notre
peinture.(4)
Ce coup d'envoi de la «femme peintre professionnelle»
donné si précocement(5), verra la naissance
de ce qu'il n'est pas exagéré d'appeler des célébrités
féminines. En sont une illustration ferme et vivante, Luce
Turnier qui ne laisse d'en imposer par la profondeur et la multiplicité
de ses œuvres, Rose-Marie Desruisseau dont la ténacité
et l'audace «indigéniste» ne laissent encore d'émerveiller,
et plus près de nous, révélation d'un monde
où dieux et hommes se coudoient, Louisianne Saint-Fleurant,
«marraine» miraculée de Saint-Soleil dont l'œuvre,
véritable cri de la culture, semble tout à la fois
refuge et défi au quotidien.
(1) Marie-José Nadal Gardère, Gérald Bloncourt,
La Peinture haïtienne, 1986.
(2) Tamara Baussan, Andrée Naudé (enseignantes au
Centre dès sa création en 1944 à côté
d'Andrée Mallebranche) seront rejointes à la fin des
années 50 par deux jeunes peintres haïtiennes, Marie-Josée
Nadal et Michèle Manuel pour créer «L'Atelier
de la Tête de l'Eau», véritable refuge et antre
de fidélité à la peinture où, s'alimentant
et s'enrichissant de leurs expériences et diversités
multiples, elles travaillent ensemble aujourd'hui encore.
(3) G. Corvington, op.cit, 265 et suiv.
(4) Marie-José Nadal Gardère, Gérald Bloncourt,
op cit
(5) Des jeunes filles seront nombreuses à suivre Luce Turnier
et Marie Josée Nadal au Centre parmi lesquelles, Hilda et
Clara Williams, Elzire Malebranche, Héléne Schomberg...)
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
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