1929
Quand j'ai commencé, il n'y avait pas de femmes qui faisaient
ce métier; il y avait partout des artistes de théâtre.
Tous les dimanches et jours de fête, je chantais à
la chorale de la Cathédrale. Dès l'âge de 12
ans, je faisais partie de cette chorale, ayant été
initiée par les sœurs de Sainte-Rose de Lima.»(1).
C'est de là que, timidement, elle se fait entendre comme
choriste dans les coulisses de son amie Emérante de Pradines
jusqu'au jour où le public réclamant à tue-tête
le second rôle découvrira avec émerveillement
l'intemporelle Martha Jean-Claude. On l'appréciera désormais
seule ou aux côtés d'Emérante dans les soirées
privées, les réceptions d'ambassade... quand ce n'est
pas dans l'une de ses prestations au théâtre, dont
dans les années 40 déjà elle semble tout aussi
friande.(2)
Puis Martha Jean-Claude nous est ravie quand le 20 décembre
1952, enceinte de 3 mois, elle est emprisonnée. Critique
trop osée du gouvernement, activités communistes de
son mari (absent du pays lors de son arrestation), mise en échec
de ce projet, trop révolutionnaire au goût de Magloire,
de construction d'une maison pour démunis? Pour ne laisser
d'être imprécis et quelquefois contradictoires, les
chefs d'accusation ne disent pas moins clairement que sa présence
est indésirable et, à sa libération provoquée
par un état de santé si inquiétant «qu'elle
devra etre transférée à l'hôpital»,
elle ne se verra d'autre recours que l'exil.
C'est alors que Cuba verra arriver, après son très
court séjour au Venezuela, cette jeune femme et ses chansons
en quête d'une terre d'accueil. Se voyant alors contrainte
à des emplois de fortune comme linotypiste, coiffeuse, Martha
ne devra pas moins attendre 1956, sa rencontre avec Celia Cruz et
l'enregistrement de son premier disque Canciones de Haïti,
pour se voir lancée sur la scène cubaine, amorce d'une
vivante carrière internationale. Chanteuse étoile
des plus grands cabarets cubains (Tropicana, Sans-Souci), figurant
régulièrement à l'affiche de spectacles dans
les plus grandes villes d'Amérique et un peu partout dans
le monde on la verra, à l'occasion, accompagner Nat King
Cole, Mendosa. Loin de se départir de cette affection particulière
pour le théâtre elle interprétera avec un égal
bonheur des rôles divers à l'écran et dans des
séries télévisées très populaires
et prisées. Son propre film, Simparele dont, en plus
du scénario et de la réalisation, elle incarnera le
rôle principal sera primé à Cuba, en Palestine,
en Espagne et en Allemagne.
S'il est insensé de prétendre embrasser en si peu
de mots plus de 50 ans d'une carrière aussi riche, on reste
par contre ébahi de découvrir cet univers et ce parcours
marqués d'une fidélité entêtée
et résolue à Haïti dans ce qu'elle recèle
de plus autochtone. En 1957, peu après la révolution
cubaine, elle se trouvera aux côtés des Haïtiens
à l'ICAP (Institut Cubain d'Amitiés avec les Peuples)
pour des recherches autour de la culture haïtienne. Si au cours
de sa longue route, seule ou avec MAKANDAL, ce groupe musical monté
avec entres autres musiciens de talent ses enfants, tous retrouvés
sur ses traces, une juste place a dû être faite dans
ses chansons et ses mélodies à une vigueur toute cubaine,
ce sera avec assez de bonheur pour que Cubains et Haïtiens
se réclament et s'approprient également la «nuestra
haïtiana cubana» qui elle, en retour, ne trouvera pour
se partager que ces mots pleins d'amour: «Mwen se fanm 2
peyi / Soy mujer de dos islas». De cette fidélité
à l'engagement qui pérennise, le pas est franchi maintenant
avec la création en mai 1996 de la «Fondation Culturelle
Martha Jean-Claude» qui se propose, sous la direction du fils
de Martha, Richard, de travailler à la promotion de la culture
et du patrimoine des deux pays.
Il a fallu, sur l'invitation de la mairesse de Port-au-Prince,
Mme Franck Paul, ce retour de Martha chez nous, chez elle 34 ans
plus tard, en 1986, et cette tournée effrénée
de février 1991 (où elle se produit au Café
des Arts, au stade Sylvio Cator, au Théâtre National,
au kiosque Occide Jeanty, au Club international...), pour que nous
sachions à quel point elle nous a toujours été
familière. De l'acceuil de ce public incrédule de
la voir enfin, émerveillé de reprendre avec elle comme
si ne datait que d'hier leur dernière rencontre, Dodo
Titite, Kouzen, Agœ..., Martha a dû tirer la certitude
de pouvoir exprimer enfin librement cette vérité de
toute sa vie: celle de n'être jamais partie.
Discographie
1956: Canciones de Haití
1971: Martha canta a los niños; Disque d'or de
Cuba
1975: Yo soy la canciòn de Haití
1976: Agœ
1995: Mwen se fanm 2 peyi/ Soy mujer de dos islas.
Films
1962: Yambao
1980: Entre el cielo y la tierra
1986: Simparele
Série télévisée
Algo más que soñar
Décorations et médailles
Médaille de la Culture nationale (Cuba)
Médaille Raul Gomez Garcia
Trophées (Boston, Canada, New-York)
Honneur et Mérite de l'ordre des Officiers, 1996, Haïti.
Prix
Simparele primé à Barcelone, San Sebastian,
Laizip et prix de la M.L. Palestina.
* Basé sur l'interview de Richard Mirabal Jean-Claude, fils
de Martha Jean-Claude et directeur général de la Fondation
Culturelle Martha Jean-Claude.
(1) Martha Jean-Claude à Tap-Tap Magazine, no.76 (21.02.1991)
(2) Elle jouera aux côtés des acteurs de la Troupe
Martial Day notamment dans Fifine et Toutou, L'Arriviste,
Sanite Bélair (version de Mme Rosemond Manigat), Loccocia,
Barrières...
(Voir Corvington, op,cit p294 et suiv.
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
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