1917 - 1975
La documentation sur ces décennies toutes de fertilité
s'ouvrant sur les années cinquante fait défiler des
femmes, (et pas peu nombreuses) se partageant le mérite d'ouvrir,
chacune dans leur champ propre, une brèche initiatrice et
grosse de retombées. Surpris sommes-nous donc, de devoir
y chercher à deux fois et presque vainement sinon les traces
de l'écrivain remarquable qu'est Marie Chauvet, tout au moins
les signes avant-coureurs de ces titres de noblesse qu'elle va se
voir comme naturellement octroyer dans nos lettres.
A remonter, par contre, ces quelque quarante années qui
précéderont l'appréciation par le public de
ce qu'elle a dû considérer comme ses premières
vraies productions littéraires, on s'étonne, il faut
dire, un peu moins de ce «vide». Déjà jeune
adolescente à l'allure un peu ingrate, Marie sort du lot
en surmontant crânement les violentes moqueries d'un entourage
familial étonné au plus haut point de l'entendre clamer
à tout-venant ne se destiner qu'au métier d'écrivain.
Après son brevet élémentaire, qu'elle termine
en 1933 à l'Annexe de l'Ecole Normale d'institutrices, elle
se découvrira déjà les seize ans d'une jeune
fille assez sûre de son fait pour refuser cette route «initiatrice»
des bonnes œuvres. Bien plus tard, la jeune femme d'un charme
et d'une beauté avérés qu'elle deviendra ne
se comptera pas non plus parmi les engagées pour la cause
féminine ou dans les âpres luttes politiques défrayant
alors l'actualité. Il se trouve que Marie Vieux avait également
cette autre certitude qu'elle ne tenait non plus cachée de
quiconque: la phobie de toute forme d'association qui pour elle
ne pouvait amener qu'à l'exécrable enregimentement.
Marie sera donc de ces femmes qui resteront chez elles. De toutes
les voies qui s'offriront, elle prendra celle retirée et
ardue de la création littéraire, la seule activité
qu'on lui ait en effet vraiment connue. Perfectionniste, toute sa
vie, faisant de ses enfants ses premiers lecteurs, elle passera
ses journées occupée à ces pages qui ne seront
livrées au public que bien plus tard. En 1947, à la
faveur des festivités commémoratives du Bicentenaire
de Port-au-Prince, elle crée deux pièces chaudement
applaudies — dont elle est par ailleurs sur scène l'une
des interprètes — mais pas moins considérée
par elle comme des œuvrettes. On lui connaît aussi ces
moments de grande exhubérance quand arrivait, le dimanche,
l'heure de recevoir ses jeunes amis écrivains d'Haïti
Littéraire. Là encore, loin de toute mondanité,
tout le pétillement résidait dans l'attente de ces
moments de lecture du dernier poème d'Anthony Phelps, de
la dernière page de René Philoctète, de Morisseau
ou de Legagneur.
Autour des années 60, Marie Chauvet a déjà
fait connaître trois de ses romans dont l'inoubliable Danse
sur le Volcan, et il n'y a pas eu que la prestigieuse facture
de leur publication par des éditions étrangères
pour la confirmer comme première romancière haïtienne.
Au fil d'un travail passionné, cette maturité tant
attendue se faisant jour en elle, Marie se sent plus maîtresse
de son style, plus proche d'une exigence qu'elle s'est toujours
faite et quand elle quitte Haïti, elle a dans ces bagages ce
manuscrit déjà présenté aux Editions
Gallimard et dont elle semble attendre la consécration. Tout
laisse alors présumer qu'elle deviendrait bientôt un
écrivain célèbre et certains de ses proches
soupconnent même la parution prochaine de Amour, Colère,
Folie d'être le motif de son départ.
Peu après en effet (nous sommes en 1968), Amour, Colère,
Folie est édité. Quel œil «amical»
a réussi à s'y poser avant même sa mise en vente?
Toujours est-il qu'il en informera prestement Pierre Chauvet, son
mari demeuré en Haïti, en lui enjoignant à l'occasion
de prendre garde aux retombées d'un roman dont risquait fort
de prendre ombrage un gouvernement définitivement en mal
de popularité. Marie, se voyant alors évoquer par
son époux, les conséquences probables de la sortie
de son ouvrage pour les membres de sa famille, est contrainte de
prendre la décision suicidaire de surseoir au lancement de
l'ouvrage et d'en racheter à Gallimard le stock intégral
déjà imprimé. Lu alors sous le manteau par
quelques intimes, Amour, Colère, Folie attendra la
mort de son auteur pour être honoré par la critique
et prendre rang parmi les œuvres majeures de notre Littérature.
Est-il besoin de le signaler? Marie Chauvet n'en reviendra pas.
Une de ses filles nous en a fait l'aveu: «De ce jour, elle
n'a plus jamais été la même... Elle a toujours
dit qu'elle mourrait de cancer mais je crois que c'est à
partir de cette époque qu'elle s'est laissée prendre
par le mal.» Marie-Chauvet est morte peu d'années
après à New-York d'un cancer du cerveau.
Œuvres:
1947: La Légende des Fleurs, fantaisie poétique
et Samba, pièce historique.
1953: Filles d'Haïti (Editions Fasquelle; Prix de l'Alliance
francaise 1953)
1957: La Danse sur le Volcan (traduit en anglais, en américain
et en hollandais. Edité par la maison d'édition francaise
Plon)
1961: Fonds-des-Nègres (Couronné à
Paris du prix France-Antilles)
1968: Amour, Colère, Folie (Edité par Gallimard)
1970: Les Rapaces, prix littéraire posthume Henri-Deschamps.
* Tiré de nos entrevues avec Régine Charlier, fille
de Marie Chauvet, et avec Madeleine Paillère.
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
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