L'absence totale de femme, dans ces foulées initiatrices
des lettres qui verront, sous le vocable de pionniers, la consécration
de certains noms d'écrivains, force au constat, dans ce domaine
également, d'une entrée féminine quelque peu
tardive. Il ne faudra pas moins la deuxième moitié
du premier siècle de notre histoire, en effet, pour que,
du plus patent anonymat, émergent faiblement, presque miraculeusement,
dirions-nous, deux noms appelés, dans le souci tout compréhensible
de combler un vide aussi effroyable, à se disputer chez les
critiques le titre enviable de précurseur.
D'abord Fine Faubert (fille de Joute Lachenais et de Marc-Joseph
Laraque). Son œuvre, unique dans ce genre assez rare dans la
littérature, le genre épistolaire, et à laquelle
les critiques s'accorderont à reconnaître une certaine
valeur artistique, se ramène essentiellement à la
compilation posthume de lettres touchantes adressées à
Pierre Faubert, son mari et d'autant plus enflammées qu'il
s'agit d'épanchements intimes que l'auteur n'entendait nullement
partager avec un public.
Plus tard, Virginie Sampeur (1839 - 1919) connue surtout
par ces vers devenus célèbres de L'Abandonnée
inspirés par la blessure et le désarroi infligés
par son très court mariage avec Oswald Durand. Taquinant
déjà la muse à l'âge de 17 ans, Virginie
Sampeur aurait également publié ses premiers vers
dans diverses revues et laissé une biographie inédite
d'Angèle Dufour. Son passage remarqué à
la direction du Pensionnat National des demoiselles de 1901 à
1909 n'a pas non plus manqué d'être signalé
toutes les fois qu'on se rappelait les entreprises méritoires
de femmes haïtiennes.
Il faudra attendre les années 1900 pour que, sous des pseudonymes
la plupart du temps, se laissent apprécier, dans la poésie
que aussi bien dans la prose, des tentatives féminines plus
nourries [«La Ronde (1901) et Haïti Littéraire
et Scientifique(1905), se vantent d'avoir plusieurs collaborations
féminines mais presque toutes anonymes, signées d'un
prénom ou d'un nom de fleur»(1)]. Et
alors, quoique la littérature ne laisse d'être considérée
comme une activité accessoire — ce qui n'a de typiquement
féminin, on en conviendra, que son trait peut-être
plus saillant—, le fait n'en demeure pourtant pas moins incontestable
d'œuvres plus nombreuses et plus représentatives, attestant
l'existence d'une littérature féminine haïtienne
relativement riche de titres, et cela bien que n'y soit pas toujours
nécessairement présente, ainsi que le remarque judicieusement
Maryse Condé, une thématique féminine propre.
De cette période, certains noms sont à retenir:
Ida Faubert (1883-1969) dont l'œuvre, publiée
principalement en France où elle a résidé dès
l'âge de 6 ans n'est pas moins reconnue haïtienne et
appropriée par nos critiques;
Cléante Desgraves Valcin (2) (1891-1956)
Fleurs et Pleurs (1924) et ses deux romans Cruelle destinée
(1929) et La blanche négresse (1934),
Annie Desroy, pseudonyme d'Anne-Marie Lerebours Bourand
(1893 - 1948), qui publie Et l'amour vint (1921), La cendre
du passé. (1931) et Le joug en 1934;
Denyse Roy (1908-74) qu'on se plaît à signaler
comme première femme à la rédaction, dès
sa création, de la revue littéraire La Relève
mais pour déplorer aussitôt le passage trop court dans
la littérature d'un talent tout au début affirmé
dans ses écrits et ses contes (1933-36)...
Ce n'est pas moins dans la génération suivante cependant,
malgré un engagement caractéristique qui semble détourner
de la création et absorber les écrits, que se feront
jour des œuvres d'une facture plus achevée. L'une de
ses représentantes, Marie-Thérèse Colimon,
arrive à s'aménager une vie littéraire assez
régulière quoique, de son propre avis, d'une productivité
toute relative. D'un autre côté, on voit une contemporaine
Marie Chauvet, bouder crânement tout regroupement et
récolter d'un entêtement passionné ce titre
jusque-là non détrôné de plus grande
romancière haïtienne. Plus tard, Mona Guérin
réussira le tour de force de mener de front et avec une même
ardeur deux carrières également riches et fructueuses
de dramaturge et d'enseignant. Enfin, après nous avoir été
révélées par le Prix Deschamps(3)
(1980, 1981) des écrivains comme Paulette Poujol Oriol
et Madeleine Gardiner portent haut un feu que, bien plus
près de nous, donnant la main à ces courageuses aînées,
Yanick Jean, J.J. Dominique, Yanick Lahens...,
semblent s'atteler à faire briller vers d'autres perspectives.
(1) Femmes Haïtiennes, op.cit.
(2) Cléante Desgraves Valcin se manifestera activement dans
les grands moments de la Ligue féminine d'action sociale
dont elle assurera la présidence en 1950.
(3) Pendant ses vingt ans de fonctionnement (1975-1995), six femmes
seulement se sont vues décerné le Prix Littéraire
Henri Deschamps: Alice Hyppolite (1976 pour Ninon ma sœur),
Paulette Poujol Oriol (1980 pour Le Creuset), Madeleine Gardiner
(1981 pour Visages de femmes, Portraits d'écrivains),
J.J. Dominique (1984 pour Mémoires d'une amnésique),
Marie Chauvet (titre posthume pour Amour Colère Folie)
et Cuckita Bellande (1995 pour Porte-Sauveur).
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
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