1891 - 1970
Incontestablement une des actrices les plus brillantes de son temps, éducatrice, féministe farouche, activiste politique, elle est tout ce qu'il y a d'inclassable.
1908, année funeste entre toutes, verra, quatre ans après son retour de Paris(1), Léonie Coicou violemment emportée dans le tourbillon de ce qui, événement troublant d'époque, aura sans doute été appelé à demeurer pour elle le cauchemar de toute une vie: l'assassinat du poète Massillon Coicou, son père, ainsi que de deux de ses oncles(2). Quand, dans la foulée de cette enquête mémorable, savamment orchestrée un an plus tard par Pierre Frédérique, il est donné à lire dans les colonnes de l'Impartial, en des termes toute d'une dignité retenue, ce démenti que, pour réhabiliter l'image à trop bon compte flétrie d'un père, elle juge bon d'infliger à un article tendancieux de Clément Magloire(3), ce sera alors l'occasion d'admirer, déjà présente à cet âge (elle n'a alors que 18 ans), cette fermeté de caractère appelée plus tard à constituer l'un des traits fondamentaux de sa personne.
Sur les pas de son père, on la voit, très tôt, s'engager dans la voie ingrate de l'enseignement où, se dépensant sans mesure, elle ne tardera pas, tout comme celui-ci du reste, à s'imposer du meilleur d'elle-même. Promue très vite directrice de l'école des Filles, plus tard débaptisée école Thomas-Madiou en mémoire de l'historien, aïeul de son époux, elle semble s'y être alors consacrée corps et âme et ne s'occuper uniquement que de cet aspect-ci d'un talent pour le moins multiforme, les planches ainsi que la scène politique, fait incompréhensible pour quelqu'un ayant connu très tôt des débuts si prometteurs, ne la recouvrant en effet seulement qu'environ une trentaine d'années après.
Actrice de talent, son nom reste pour plus d'un attaché à celui d'un théâtre de qualité au rayonnement duquel elle ne laissera jamais, les planches une fois reprises, de contribuer. En effet, après un timide mais fructueux début au théâtre de Cluny à Paris qui la verra, très jeune, incarner dans la pièce Liberté, de son père, le rôle de Petit Sim, elle verra son nom figurer dans les années quarante, années d'or du théâtre haïtien, parmi les interprètes de pièces qui semblent avoir gagné pour longtemps le suffrage enthousiaste et admiratif du public. Parmi celles-ci, il convient de citer Le Torrent (18 mai 1940), couronné du Grand Prix dramatique du président de la République et dans laquelle, aux côtés de Simone Barrau, Charles de Catalogne, Martial Day, Simon Desvarieux, Georges Dupont, André Gerdès, Paul Savain, tous talentueux acteurs de l'époque, elle tient sans conteste une place de premier plan; la Famille des Pitite-Caille, roman de Justin Lhérisson adapté pour la scène par Pierre Mayard, gros succès de l'année 1942, Le Triomphe de la terre d'Antoine Salgado, Sanite Belair de Jeanne Perez (10 août 1942), Min Coyo(1943), Barrières (1945), Lococia de Marcel Sylvain...(4),autant d'œuvres qui auront vu la confirmation d'un talent dont l'éclat et la constance ne laisseront jamais de séduire.
Militante sociale, on ne manque pas également de la retrouver à la même époque membre active d'une dizaine d'associations culturelles et civiques dont La Ligue féminine d'action sociale qui la compte en 1950 au comité administrateur du premier Congrès des femmes haïtiennes. Vice-secrétaire du Comité d'action féminine (CAF) qui, depuis sa création le 8 janvier 1946, participe activement à la lutte politique, Léonie se fera aussi, lors de ce grand «vent de janvier», le porte-parole convaincu des révendications féminines. En 1955, elle est la première femme à briguer le poste de maire de Port-au-Prince, formant aux côtés de Maud Hudicourt-Dévarieux et de Lydia Jeanty, candidates assesseurs, ce trio de femmes qui, à l'époque, provoquera tant de remous. Une constante implication politique qui lui vaudra d'être appréhendée et battue en 1950 lors d'une manifestation en faveur des droits politiques de la femme, la verra à deux reprises en janvier 1946 et en mai 1957, faire les frais également de séjours en prison.
Tant d'activités, jointes à l'astreignante tâche du soin quotidien de ses huit enfants, n'empêcheront nullement Léonie Coicou-Madiou, à la Division de conciliation et d'arbitrage du Bureau du travail, où elle est nommée en 1947 de participer activement, aux côtés de Denyse Guillaume, à la mise sur pied d'une section féminine préoccupée de la protection de la mère et de l'enfant. Elles ne l'empêcheront pas non plus, sur la nomination, en octobre 1959, du président Francois Duvalier, d'être membre quelques années plus tard de la Commission communale de Port-au-Prince.
Léonie Coicou-Madiou s'est vue, par deux fois, l'insigne objet d'une décoration: d'abord celle de l'Ordre national Honneur et Mérite pour son dévouement à l'éducation de la jeunesse décernée par le président Sténio Vincent puis celle de l'Ordre de Toussaint-Louverture par le président Francois Duvalier pour son action sociale et sa contribution à la formation de la jeunesse.
(1) Léonie Coicou-Madiou fera une partie de ses études à Paris où son père a été secrétaire de la Légation haïtienne puis chargé d'affaires.
(2) Massillon Coicou, écrivain et firministe convaincu et ses deux frères Horace et Louis, soupçonnés d'un complot visant au renversement de Nord Alexis, ont été, ainsi qu'une vingtaine de leurs amis, sauvagement assassinés, dans la nuit du 14 au 15 mars 1908, sur l'ordre du général Arbau Nau. (Voir : Gérard Jolibois, L'Exécution des Frères Coicou et Jean Desquiron, Haïti à la Une, tome 2)
(3) G. Jolibois, op.cit. p74
(4) G. Corvington, op.cit, Tome 7, p293 et suiv.
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
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