1789 - 1853
Singulier et bienfaisant, le passage, dans notre vie publique, de Mme Bussière Laforest-Courtois revêt, pour quiconque s'interroge sur le lent cheminement et la portée des conquêtes féminines en Haïti, une importance considérable. En effet, dans un jalonnement tout d'éclats d'ordre militaire et politique, il constitue les premières marques de la femme haïtienne vers ces horizons neufs et autrement riches de retombées que sont l'éducation et le journalisme et, à ce titre, se doit d'être, aux yeux d'une histoire attentive, d'une place enviable et de premier choix.
De parents affranchis et d'une relative aisance, Juliette Bussière Laforest naît au Cap-Francais en 1789. Accompagnant très jeune à la Métropole un père, alors représentant du peuple à la députation du Nord, elle y passera une forte partie de sa jeunesse consacrée à l'acquisition d'une solide formation, et y épousera Joseph Courtois qu'elle accompagne à son retour en Haïti en 1816.
1818 voit le couple Courtois créer et animer à la rue des Fronts-Forts, La Maison d'Education, externat et premier pensionnat mixte du pays où Mme Courtois, bonne musicienne et professeur de piano, assumera la direction exclusive des filles en matière de musique et de littérature. Quoique partageant avec ces quatre autres institutions (Buenrostro, Charpentier, Mérès et Durand) seules à ouvrir alors leurs portes aux demoiselles cet enseignement rudimentaire dénoncé par Darfour comme un palliatif ne servant qu'à rendre plus coquet «le sexe»(1), sa fermeture 10 ans après, en 1828, ne fera pas moins sentir un vide énorme dans le milieu, lequel vide ne sera réellement comblé qu'en 1850 (sous Soulouque) avec la réouverture du Pensionnat national de demoiselles et, distinction impériale oblige, du Collège Olive à l'intention des jeunes filles de l'aristocratie impériale.
Son retrait ne la rendra que plus disponible pour la rédaction et l'administration de La Feuille du Commerce, quotidien fondé par le couple et qui, près d'un siècle avant la fondation par Anna Augustin en 1923 de l'éphémère revue Fémina, la verra prendre rang, ce qu'on oublie trop souvent de signaler, comme première femme journaliste du pays(2). En effet, sous des régimes politiques où tout «écart» pouvait être passible de peine capitale, on la verra dès 1824, aux côtés de son mari d'abord puis seule, assurer la parution régulière et la survie, 42 ans durant, d'un quotidien dont la détermination semble tout entière tenir dans cet épigraphe: «L'arbitraire est de toute impossibilité tant qu'il existera libre publicité».
La Feuille du Commerce devenant autour de 1830 «l'organe par excellence de l'opposition contre Boyer, en 1832 Courtois est condamné à trois années d'emprisonnement pour avoir outragé le Président d'Haïti, le Sénat et la Chambre». Les 22 mois qu'il passera alors en prison ne sont qu'un prélude aux malheurs et aux vicissitudes sans nombre du couple car, ne se laissant nullement désarmer par cette intolérance de rigueur à l'époque déjà, Joseph Courtois, peu de temps après la montée de Soulouque, se verra encore une fois arrêté, jugé pour délit de presse par le grand corps du Sénat, transformé pour la circonstance en Haute Cour de Justice. Tout au cours de ce procès, qui ne dut qu'à l'intercession du consul francais Maxime Raybaud de ne pas tourner au tragique, celui-ci ayant obtenu de justesse que Courtois fût envoyé en exil, cette femme «allait attendre son mari à la Conciergerie, marchait à côté de lui au milieu des baïonnettes et, après chaque audience, elle le reconduisait jusqu'à la prison. (...) Elle portait sous son châle, deux pistolets et deux poignards (... ) pour aider son mari à se défendre ou pour mourir avec lui si on tentait de l'assassiner» (3).
La commune logique eût voulu que Mme Courtois à défaut de suivre son mari, cessât cette publication qui, tout compte fait, lui était d'un coût immense. La Feuille du Commerce pourtant continuera à s'imprimer sous ses bons soins jusqu'à sa mort le 24 décembre 1853 qui en laissera la succession à son fils, Joseph Alcibiade Courtois.
(1) Thomas Madiou, op.cit., Tome VI, p21.
(2) Le nom de Juliette Bussière Laforest-Courtois ne figure pas dans la liste de journalistes de 1804 à 1934 compilée dans Haïti à la Une de Jean Desquiron. Nous voulons présumer que l'auteur ne tendait pas à l'exhaustivité et nous avons été rassurées qu'il ait pris soin, plus loin, de signaler que Madame Courtois assura «la direction et l'administration du journal» les dix années qui suivirent l'exil de son mari. Desquiron, Haïti à la une, Tome I, p174
(3) Extrait du Dictionnaire biographique de Duraciné Pouilh, dans Femmes haïtiennes, pp83 et suiv.
Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI
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