Femmes d'Haïti

Emmeline Carriès-Lemaire


1890 - 1980

A cette époque de fébrilité féminine, un élément frappant du portrait d'Emmeline Carries-Lemaire et qui en constitue l'originalité propre, est, au-delà de l'implication dans les entreprises sociales et le mouvement féministe de toute femme qui se voulait active, l'affirmation d'une saisie d'Haïti et d'une construction soutenue de son intégration dans le contexte plus large du monde caraibéen et latino-américain.

Du plus loin que nous remontons dans l'engagement d'Emmeline Carries-Lemaire, c'est à Jacmel, sa ville natale, que nous la retrouvons, occupée à entreprendre, en 1930, avec le concours du docteur Abel Lhérisson, la fondation de l'Obole du Pauvre, centre hospitalier qui fournit des soins de santé adéquats aux lépreux et aux indigents. Quand, autour de 1937, la croisade de conscientisation et d'éducation entreprise par la Ligue féminine d'action sociale s'étendra dans les villes de province, elle trouvera donc, déjà présent en Mme Carries-Lemaire ce sens de la détermination et du courage nécessaire à la mise sur pied de la filiale de Jacmel dont elle s'affirmera en peu de temps l'une des animatrices les plus zélées. Elle s'y distinguera, entre autres, dans ces travaux de formation qui, plus tard, de 1945 à 1950 se verront un juste écho dans ces cours d'alphabétisation et d'éducation primaire qu'elle ne manquera pas, une fois rentrée à Port-au-Prince, de dispenser à Pacot et à Turgeau.

Cette cause féminine, Mme Carries Lemaire qui voyagera beaucoup de 1955 à 1960, en portera l'étendard également à l'étranger où on la verra, aux Etats-Unis d'Amérique, à Cuba, au Mexique, en République Dominicaine, se produire assidûment dans des conférences sur la problématique de la femme. A Caracas, où ses séjours semblent avoir été plus longs, on la retrouve également aussi bien dans des causeries sur de pareils thèmes, que dans l'animation, avec le soutien de Delgado Chalbaud, d'un mouvement en faveur des femmes haïtiennes en exil. Les handicapés et les pauvres sur lesquels ses regards s'etaient initialement portés ne se verront nullement délaissés pour autant; sa présence est notée à leurs côtés à l'Asile de Sigueneau, dans la plaine de Léogane.

A côté de cette part toute féministe et sociale de son engagement, une place, et pas des moindres, sera laissée à une activité intellectuelle et artistique non moins intense. En effet, Emeline Carries-Lemaire dont un intérêt au plus haut point pour notre histoire n'a jamais laissé de prendre corps dans des préoccupations nourries d'une démarche d'essayiste et de poète semble, dans ce domaine par ailleurs riche pour elle de possibilités artistiques, s'être adonnée tout particulièrement à en faire revivre certains moments dans une perspective toute de revalorisation. Doit-on y voir, inscrite dans le droit fil de courants d'affirmation tissés autour de la désoccupation, la recherche délibérée pour Haïti d'éléments historiques et culturels propres à un relèvement ferme des blessures d'une dépendance une nouvelle fois imposée? Il est en tout cas remarquable que les lendemains de 1934 retrouvent Emeline Caries-Lemaire aussi vivement décidée à tenter, de cendres longtemps refroidies, l'exhumation de la richesse et la fierté aussi bien du passé indien que de nos moments les plus heureux. En 1944, des recherches qu'elle mène à la bibliothèque du Congrès, aux bibliothèques nationales de Caracas et de Port-au-Prince, aboutissent à Hispaniola, étude historique, géographique et politique de l'Ile d'Haïti. De cette période également date, à côté d'œuvres inédites sur la culture Caraïbe, Anacaona, une pièce de théâtre qu'elle présente avec la troupe Gabriel Imbert sur les planches de l'Institut français.

Promotrice d'échanges culturels, elle invitera des artistes et des peintres dont Ramon Alvarez Silva, Miguelito Valdès, Xavier Amiama, à se produire à Port-au-Prince. A ce rapprochement interaméricain, elle donnera enfin, en 1950, un espace hebdomadaire d'échange et de réflexion avec la fondation de El Alba, périodique bilingue, francais-espagnol, atteignant parfois, chiffre combien parlant pour l'époque, un tirage de 1,500 exemplaires. Collaboratrice également de la revue Cahiers d'Haïti, la presse haïtienne lui devra la mise sur pied de l'Association des Journalistes haïtiens avec la participation d'écrivains et journalistes de Port-au-Prince dont Lucien Montas, Dumayric Charlier, Edouard Charles, Michel Gilbert.

Emeline Carries-Lemaire vivra les dernières années de sa vie aux Etats-Unis d'Amérique où, tout en poursuivant ses activités littéraires, elle enseignera le français au Lycée français de Chicago. Elle meurt le 30 Janvier 1980 à San Francisco (Californie).

Publications:

1941: Mon âme vous parle, poésie.

1944: Hispaniola, Etude historique, géographique et politique de l'Ile d'Haïti.

(Edition bilingue francais-espagnol), La Havane, Cuba.

Poèmes à Bolivar, plaquette de vers.

Cœurs de héros Cœurs d'amants.

Anacaona, théâtre.

1960-65: Talisman de la Mujer

Grito del Alma

Hommage à la Femme haïtienne

1973: Chants pour toi

Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI

www.haiticulture.ch, 2005