Femmes d'Haïti

Argentine Bellegarde-Foureau


1842 - 1901

La nomination, dans le cadre de la politique de réorganisation des lycées et écoles publics initiée par le gouvernement Salomon, d'Argentine Bellegarde-Foureau, à la direction du Pensionnat national des demoiselles en 1880, voit s'inaugurer en Haïti une ère nouvelle d'intérêt et de «bonne formation» visant les jeunes filles de milieux modestes et populaires.

Née à l'Arcahaie le 2 août 1842, Argentine Bellegarde se retrouve très tôt, à Port-au-Prince, élève brillante à l'Institution de Mme Isidore Boisrond où, se laissant déjà aller à «ses précoces dispositions pour l'enseignement, elle servait de monitrice à ses camarades des divisions inférieures». Verra-t-elle dans la prise en charge du Pensionnat national des demoiselles le terrain tant attendu pour se mettre au service des intérêts du peuple? Cette jeune femme dont l'intégrité et l'honnêteté, lors de la lutte déchaînée qui opposera le Parti libéral et le Parti national par exemple, ne manqueront pas de se révolter contre l'abus fait à un peuple à qui «pour détourner sa colère de ses ennemis véritables», on n'hésite pas à servir en manteau rouge le plat du préjugé de couleur, n'aura alors de cesse de travailler au relèvement du niveau moral de ses élèves, s'assurant de ce que chaque future mère de famille formée soit «un progrès accompli dans le sens de l'émancipation populaire».

Pour la pleine réussite de cette action, Argentine Bellegarde se mettra à la tâche honorable de réunir dans l'association, Union et Charité, les anciennes élèves du Pensionnat et d'autres institutions similaires qui se verront l'obligation d'«établir des habitudes de bonne camaraderie et la plus fraternelle amitié entre ses membres, constituer une caisse de réserve destinée à secourir les plus infortunées ou à faire leurs frais de trousseaux de mariage» mais à qui incombera également l'ingrate tâche policière de «ramener dans les voies de l'honneur celles qui s'en étaient écartées». (cf: Texte des statuts de l'association).

Si cette militante convaincue et passionnée de l'Éducation populaire, imprégnée par surcroît de l'idée d'équivalence des sexes réunissait les éléments de base et les qualités indispensables d'un échange fructueux et salutaire avec ses élèves, par contre, vouée aux valeurs morales et culturelles de son époque, elle mettra toute la volonté qui également semble avoir été l'un de ses traits, à s'acharner à les remodeler et malheureusement à leur inculquer sinon un rejet, du moins, un certain dédain de leur milieu.

Sur son habitation de Duvivier où, avec ses seules ressources, elle fondera une école dans le but d'étendre son action «à la transformation morale et sociale des masses rurales (que) les croyances et pratiques religieuses (maintenaient) encore dans un état honteux de misère matérielle et d'infirmité morale», elle ne laissera de rester sourde à ces accents propres et pathétiques d'un terroir et, quoique avec des procédés bien plus doux, se posera sans le savoir, en précurseur de la persécution culturelle qui, dans les années 40, verra son apogée dans la célèbre campagne «Rejete». «Chaque nuit, la brise lui apportait l'écho des tambours et les voix animées des chanteuses, et elle se représentait par l'imagination les danses orgiaques où ces laboureurs perdaient la vigueur de leur corps et leur ardeur au travail. Sans rien dire, elle fit bâtir une tonnelle, appela un «violonier», un accordéoniste, un joueur de basse et la meilleure reine chanterelle du voisinage. Et les bals commencèrent. Peu à peu, les hommes désertèrent les danses plus ou moins vaudouesques, le violon avait détroné le tambour conique, et la chanson paysanne , enrichie dans son rythme et dans ses thèmes, put se déployer avec plus d'aisance.»

Une «travailleuse de la terre» assidue, aura été également, toute sa vie, nous rapporte Dantès Bellegarde, cette grande éducatrice, passionnée des arbres et des champs dont elle prenait personnellement soin. Défendant, la première, l'idée que le cocotier pourrait devenir l'une des grandes cultures d'exportation du pays, elle fit établir la cocoteraie de Truitier dont elle s'occupera assidûment jusqu'à sa mort à l'âge de 59 ans. Elle aura aussi l'audace peu féminine à l'époque (et aujourd'hui encore) de transformer son domaine de Duvivier en une importante habitation sucrière en y installant une usine dont la direction fut confiée à l'ingénieur Jardine.

* Tiré de la relation de Dantès Bellegarde dans Femmes Haïtiennes, op.cit. p111 et suiv.

Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI

www.haiticulture.ch, 2005